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Mission eau

Cours d’eau en péril : “Nous avons oublié à quoi ressemble une rivière en bonne santé”

Table des matières

Discours au Congrès de la FNPF (Fédération nationale de la pêche en France) Lundi 23 juin 2025


Bonjour à toutes et tous, 

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour cette invitation. Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui et de consacrer toute une matinée à échanger sur l’eau, ce commun sacré.  

Un constat alarmant : l’oubli et la dégradation des cours d’eau

Ce sujet m’anime particulièrement pour plusieurs raisons. Une raison personnelle d’abord, puisque je vis sur l’eau. Enfin plus précisément sur une péniche, située à Vigneux, en Essonne. Tous les jours ou presque, je prends le pouls de la Seine avant qu’elle ne traverse Paris. Saison après saison, je côtoie ses habitants : poissons, oiseaux, canards, cygnes, plantes aquatiques, algues, riverains, promeneurs, kayakistes, plaisanciers, travailleurs, cyclistes, transporteurs de marchandises, pêcheurs. 

Nous évoluons toutes et tous avec ce fleuve et la plupart du temps, sans plus nous en rendre vraiment compte. Comme partout en France et même dans le monde, nos sociétés se sont structurées autour des rivières et des points d’eau. Cette intégration est désormais si acquise que pour beaucoup d’entre nous, nous ne le notifions même plus. Les fleuves, rivières et cours d’eau sont là, nous vivons avec eux, mais la plupart du temps nous les oublions. D’un certain point de vue tant mieux et heureusement que nous ne passons pas toutes nos journées avec un sourire mi ravi mi mélancolique à contempler l’eau s’écouler en récitant de manière lancinante les vers du Pont Mirabeau. J’aime beaucoup Apollinaire, mais je crois que cela nuirait tout de même à la santé mentale des Françaises et des Français. 

La plupart du temps donc, nous ne prêtons que rarement attention aux cours d’eau qui traversent nos territoires. Et malheureusement, lorsqu’ils suscitent notre intérêt, c’est pour le danger qu’ils génèrent. Cela n’aura échappé à personne, ces dernières années, nous avons vu les inondations, leur intensité et leurs dégâts se multiplier. 

C’est peut-être l’une des seules manifestations visibles des cours d’eau pour la plupart des Françaises et les Français. Pourtant, les cours d’eau et leurs réseaux hydrographiques sont le système vasculaire de notre pays. 

Ils sont notre robinet d’eau potable. Ils hydratent nos sols et nous nourrissent en fournissant de l’eau pour les cultures et le bétail. Ils nous permettent de produire de l’énergie. Ils sont des espaces de transport, de loisir, de baignade, de sport, de pêche et de travail pour des millions de Françaises et de Français. 

Ils abritent enfin une biodiversité gigantesque. Alors qu’ils couvrent moins de 1% de la surface de la terre, on estime que les écosystèmes d’eau douce abritent environ un tiers des espèces de vertébrés et 10% de toutes les espèces. 

Et malgré leur importance capitale pour nos territoires et nos vies. L’état de nos cours d’eau est absolument affolant. Je sais que cela, vous le savez encore mieux que moi, vous qui êtes quotidiennement ou presque à leur chevet. 

Alors que pour beaucoup d’entre nous, l’effondrement de la biodiversité est une notion malheureusement abstraite, vous, vous la constatez. Vous la subissez. 

Recul voire disparition des populations de truite et d’ombre, en particulier dans les zones de plaine. Population de saumon et de lamproie en chute libre. La situation est tout aussi désastreuse pour les poissons sédentaires tels que l’apron, ou le brochet qui subit de plein fouet les assèchements et drainages. 

Face à ce constat, j’ai initié à l’Assemblée nationale le lancement d’une mission d’information parlementaire sur l’état des cours d’eau et leur restauration. L’objectif de cette mission est de comprendre pourquoi l’état de nos cours d’eau continue de se dégrader malgré toutes les politiques et les investissements déjà en place, et surtout comment inverser la tendance. Pour cela, je mène toutes les semaines, avec mon collègue Freddy Sertin, des entretiens à l’Assemblée nationale et sur le terrain partout en France. 

Des causes multiples, aggravées par le changement climatique

Je sais à ce titre à quel point les fédérations de pêche sont mobilisées pour documenter et endiguer la dégradation de l’état de nos rivières. 

Suite à l’invitation de M. Hamid Houmoussa, je me suis notamment rendue il y a quelques mois sur le Loing pour revenir sur le terrible épisode de pollution au saccharose ayant entraîné la mort de 7 tonnes de poissons. La mobilisation de la fédération de pêche de Seine-et-Marne a été absolument fondamentale pour endiguer la pollution et réaliser des pêches de sauvegarde. 

Mais au-delà des épisodes de pollution ponctuels, la dégradation de nos cours d’eau structurelle et généralisée. 

Moins d’un tiers des cours d’eau français sont considérés en bon état au sens de la directive cadre sur l’eau. Dans beaucoup de territoires, cet état continue de se dégrader. Notamment en Ile de France où seuls 10% des cours d’eau sont en bon état. D’après le dernier diagnostic territorial, en Essonne où je vis, 0% des masses ne sont en bon état chimique. 0%. Toutes les eaux du département sont polluées. 

Résultat, les milieux aquatiques sont les écosystèmes dans lesquels l’effondrement de la biodiversité est le plus fort et rapide. 

Les causes de cette dégradation nous les connaissons. 

Ce sont les modifications de la morphologie des cours d’eau. Dans certains départements, plus de 90% du linéaire de cours a été rectifié à la pelle mécanique. 

Ce sont les pollutions chimiques, notamment aux pesticides et aux nitrates. 

Ce sont les prélèvements excessifs, qui assèchent les cours d’eau et les nappes, et renforcent la concentration des pollutions. 

Ce sont les drainages et les destructions de zones humides et de prairies, qui accélèrent le cycle de l’eau. 

Toutes ces problématiques sont amenées à se renforcer sous l’effet du dérèglement climatique. Selon, les projections hydrologiques du projet Explore2 porté par l’INRAE, les étiages sont amenés à être plus sévères en intensité, y compris dans un scénario d’émissions de gaz à effet de serre modérées, qui n’est pour l’instant pas la voie que nous prenons. Cette réduction des débits d’étiage va concerner l’intégralité du territoire tandis que les années équivalentes ou plus extrêmes que 2022 seront de plus en plus fréquentes. 

Le constat est clair : ne fait désormais aucun doute que nous n’atteindrons pas les objectifs de la directive européenne cadre sur l’eau. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les services du Ministère de la transition écologique que nous avons auditionnés. Cette directive fixe l’objectif d’avoir 100% des masses d’eau en bon état à horizon 2027. Cette échéance était initialement prévue pour 2015 mais a déjà été repoussée. 

Les conséquences de cette situation sont graves et concrètes pour tous nos territoires et devraient générer un sursaut général. D’après les inspections générales des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de la Transition écologique, la qualité de l’eau du robinet n’est plus garantie pour plus de 10 millions de Français du fait de la pollution aux pesticides.

Alors que faire ? Nous devons aujourd’hui changer de paradigme et engager un tournant. 

Un appel à l’action : changer de paradigme

La bonne nouvelle la dedans : c’est que les solutions, nous les avons : 

  • Mettre un terme aux pollutions et pratiques néfastes. 
  • Et restaurer massivement les écosystèmes aquatiques dégradés. 

Nous devons tout d’abord impérativement maintenir une surveillance accrue de nos cours d’eau et ne rien lâcher là-dessus. Je tiens à ce sujet à saluer le travail des policiers de l’environnement et de tous les agents de l’OFB, dont le travail et la sécurité n’ont cessé d’être menacés ces derniers mois. 

En matière de surveillance, il faut en outre continuer à augmenter et affiner le nombre de substances suivies, même si cela peut sur le papier être décourageant puisque de fait plus l’on suit de substances, plus l’on se rend compte à quel point nos cours d’eau sont pollués. Mais c’est la science et la recherche de justesse qui doivent guider l’action publique. J’interpelle aujourd’hui la Ministre de la transition écologique à ce sujet : il est impératif de maintenir une méthode d’évaluation robuste et de ne pas chercher à aller vers des indicateurs moins-disants pour démontrer des progrès de manière artificielle. 

Il est en particulier fondamental de couper le robinet des pollutions. Cela veut dire une diminution drastique des pesticides. Il n’y aura pas d’amélioration de l’état de nos cours d’eau, tant que nous continuerons de soutenir la dépendance de notre modèle agricole aux pesticides. C’est un fait. 

Une loi controversée et des mobilisations en cours

A ce titre, je tiens à vous alerter et vous partager mon indignation sur la proposition de loi Duplomb qui est actuellement au parlement. Cette loi poison, dont vous avez sûrement entendu parler promet un véritable saccage de nos cours d’eau. Elle prévoit un véritable cocktail explosif en contradiction totale avec les recommandations des scientifiques et la direction que nous devrions prendre pour préserver les masses d’eau : 

  • réautorisation de certains pesticides, 
  • facilitation de la destruction des zones humides dégradées au lieu de les restaurer,
  • facilitation des ouvrages de stockage d’eau et des prélèvements dans les nappes,
  • soutien à l’extension des élevages industriels ICPE 

Des mobilisations contre cette loi auront lieu dans toute la France ce dimanche 29 juin. Je vous invite à vous y joindre. 

Un enjeu collectif : santé, sécurité, économie et biodiversité

Arrêter les pressions. Renforcer la surveillance. Et restaurer les cours d’eau dégradés. 

Cela fait presque 5 mois que me déplace partout en France sur des sites de cours d’eau restaurés et les résultats sont impressionnants. En ralentissant le cycle de l’eau en permettant aux rivières et ruisseaux de retrouver leurs méandres, l’état écologique progresse et la biodiversité revient. 

L’enjeu est aujourd’hui de massifier ces projets et d’entamer une réelle dynamique nationale de restauration. La déclinaison française de la loi européenne sur la restauration de la nature est aujourd’hui en cours et il est aujourd’hui impératif qu’elle intègre pleinement les problématiques des cours d’eau et des outils concrets pour lever les freins. 

Je pense notamment au foncier. Actuellement, et dans la mesure où la majorité des cours d’eau sont privés, de nombreux chantiers de restauration sont bloqués ou freinés à cause du foncier. Il est donc fondamental de doter les collectivités et les acteurs de la GEMAPI d’outils de maîtrise foncière. 

Je ferai notamment des propositions à ce sujet dans le rapport d’information parlementaire que je présenterai à la commission du développement durable à la rentrée. 

Enfin, les projets de restauration doivent devenir des opportunités pour reconnecter les citoyens à la rivière. Ces projets doivent se faire avec eux. C’est parce que nous connaissons la rivière et son fonctionnement que nous pourrons la protéger. Parce que nous aurons envie de le faire. 

Retrouver des rivières saines et vivantes, nous avons tous à y gagner. Pêcheurs, citoyens, agriculteurs, Ministres… Car des cours d’eau en bonne santé, ce sont des hommes et des femmes en sécurité face aux inondations. Ce sont des habitats pour les poissons d’eau douce et salée. Ce sont des économies publiques par des coûts de dépollution évités. Ce sont des sols hydratés et résilients face aux sécheresses. C’est de l’eau potable en quantité et en qualité. 

Santé, loisir, biodiversité, sécurité et écologie vont ensemble. 

En tant que décideurs, nous avons aujourd’hui le devoir de les réconcilier. Je sais que l’heure est au backlash écologique mais il n’est pas question de nous décourager. 

Je vous donne rendez-vous à la rentrée pour la présentation des conclusions de mon rapport d’information. D’ici là et durant toute la durée de mon mandat, vous pouvez compter sur moi pour sensibiliser, négocier, écouter et aller chercher tous les soutiens nécessaires, pour faire de la préservation des rivières une priorité partagée par tous les bancs. 

Je vous remercie.  


Le congrès annuel de la Fédération Nationale de la Pêche en France a permis à Claude Roustan, président de la FNPF, d’interpeler Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, sur les attentes des pêcheurs de loisir.

Ce congrès s’est tenu en présence de Daniel Labaronne, coprésident du groupe d’études « Chasse et Pêche » à l’Assemblée nationale, Julie Ozenne, députée, corapporteuse de la mission d’information sur l’état des cours d’eau, Olivier Thibault, directeur général de l’Office Français de la Biodiversité, Emmanuelle Verger, directrice générale de EDF Hydro, et de Elodie Galko, directrice générale de l’Agence de l’eau Adour Garonne.

Cette rencontre annuelle a offert une occasion importante d’échanger sur les convictions profondes des pêcheurs et de leur réseau associatif concernant les grands défis liés à la politique de l’eau, à la préservation de la biodiversité et aux enjeux de la pêche de loisir.


Le lundi 23 juin, à Paris, la FNPF a plaidé avec détermination ses revendications auprès notamment de la ministre de la Transition écologique. La politique de l’eau, les poissons migrateurs, le silure et le cormoran étaient au centre des discussions.

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