Cheffe de file pour le Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, je l’ai suivi depuis son dépôt en octobre 2024 jusqu’aux négociations en commission mixte paritaire. Suite à l’adoption de l’article 25, et conformément au second alinéa de l’article 61 de la Constitution, nous avons déféré au Conseil Constitutionnel la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne. Cet article est aujourd’hui surveillé pour évaluer son incidence sur la directive « Habitats-Faune-Flore ».
Tribune « DDADUE » prononcée le 2 avril 2025 dans l’hémicycle
Madame la Présidente, Monsieur le Président,
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Nous sommes appelés à nous prononcer sur un texte dont le nom technocratique – « projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne » – dissimule mal une double dérive inquiétante : une régression démocratique d’un côté, et de l’autre, une série de reculs environnementaux et juridiques sans fondement dans les exigences européennes.
Ce texte aurait pu – aurait dû – être un exercice rigoureux de mise en conformité. Il se transforme pourtant en cheval de Troie législatif.
Sur les actions de groupe, la CMP a retenu une version ambiguë. Certes, le champ d’application universel est globalement préservé… sauf pour la santé publique. Ce n’est pas un détail : cela exclut les scandales sanitaires, la sécurité des soins et certains défauts de médicaments – autant de sujets sur lesquels l’action de groupe est précisément attendue.
Plus encore, dans le champ du travail, l’introduction d’une mise en demeure préalable vide l’action de son efficacité dissuasive. Et la suppression en CMP des mesures en cas d’inexécution d’une décision de justice marque un recul net sur les droits des justiciables. Pourquoi enlever le caractère automatique de l’exécution provisoire alors qu’il s’agit d’un moyen utile pour faire cesser les manquements?
Pourquoi affaiblir ainsi l’outil voté à l’unanimité dans cette assemblée alors que l’on doit renforcer la protection des consommateurs et des citoyens !
La directive CSRD est un pilier du Green Deal européen. Pourtant, nous pourrions choisir de ne pas détransposer partiellement en reportant de 2 ans son application pour certaines entreprises : un report qui introduit une insécurité juridique pour les acteurs déjà engagés.
Nos standards – la CSRD, le devoir de vigilance, le DSA – influencent les chaînes de valeur mondiales. Et pendant que certains les combattent ou les vident de leur contenu ici même, d’autres puissances nous observent avec jalousie ou inquiétude. Assumons notre pouvoir normatif.
Et alors qu’Omnibus va être débattu au niveau européen, il est essentiel de rappeler que les directives sur le reporting environnemental et social, sur le devoir de vigilance et la Taxonomie Verte ne sont pas des entraves, mais des leviers pour une Europe plus compétitive, plus souveraine et plus résiliente.
Le texte va même au-delà des exigences européennes… pour les contourner.
Sur l’Article 25, le dispositif initial permettait de ne pas faire entrer les projets produisant de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans le régime d’interdiction d’atteinte aux espèces protégées de l’article L.411-1 du code de l’environnement. Nous y étions déjà opposés. Au détour d’un amendement, la notion de production d’énergies renouvelables est supprimée pour permettre à tout projet de déroger à la directive « Habitats-Faune-Flore ».
Pour l’Article 28, l’extension à 10 ans des contrats de régulation économique dans les concessions aéroportuaires, sans lien avec une obligation européenne, fige nos infrastructures dans un modèle incompatible avec l’urgence écologique. Quel besoin avons-nous de reproduire les erreurs faites lors des privatisations autoroutières ?
Concernant l’Article 39, la suppression des consultations pour les « Territoires à Risques Importants d’inondation » et les reculs sur la révision généralisée des PPRN affaiblissent la prévention des risques naturels dans un contexte où le dérèglement climatique les amplifie.
Un article 39 bis introduit au Sénat met en oeuvre le principe classique des lobbyistes à savoir la méthode bien connue des « 3 D » : « Deny, deceive, delay« , soit “nier, tromper, retarder” pour retarder de 5 ans la mise en oeuvre de l’interdiction des polystyrènes des pots de yaourts et barquettes de viande.
Ce ne sont pas des ajustements techniques : ce sont des dérégulations environnementales, déguisées.
Ce texte détourne l’objet même d’une transposition. Il instrumentalise le droit européen pour faire passer des dispositions qui n’ont rien à voir avec lui – cavaliers législatifs, dérogations injustifiées, ordonnances à foison.
Il affaiblit la parole publique. Et il renforce l’idée – fausse – selon laquelle l’Europe imposerait des normes absurdes, alors même que c’est ici, à Paris, que ces dérives s’opèrent sous l’influence des lobbyistes.
Nous devons cesser de présenter l’Union comme une simple contrainte. C’est une force. C’est elle qui a imposé le M.A.C.F., cette norme environnementale inédite à l’échelle mondiale. C’est elle qui fixe les objectifs de fin de la vente des véhicules thermiques neufs à l’horizon 2035 – pas par dogmatisme, mais par nécessité industrielle et climatique.
Ces instruments permettent de lutter contre le dumping social et environnemental, tout en offrant aux PME un meilleur accès aux financements verts. Ils réduisent notre dépendance aux importations fossiles, renforcent notre souveraineté économique, et protègent nos citoyens des pollutions qui minent leur santé et leur pouvoir d’achat.
Alors que certains appellent à la déréglementation, nous devons au contraire préserver et renforcer le Pacte Vert, qui reste notre meilleure stratégie pour anticiper les transitions et bâtir une prospérité durable. Ne démantelons pas ce qui fait de l’Europe un leader en matière de durabilité.
Ce projet de loi, tel qu’il ressort de la CMP, est un triple échec :
- Échec démocratique, par sa méthode opaque et son usage abusif des ordonnances.
- Échec juridique, par les atteintes aux droits fondamentaux.
- Échec écologique, par les régressions assumées qu’il comporte.
Nous ne sommes pas ici pour valider en aveugle des paquets législatifs ni pour détourner le droit européen de son sens. Nous sommes ici pour faire la loi. Pour défendre l’intérêt général. Pour protéger notre avenir commun.
le groupe écologiste et social votera contre ce texte.
Je vous remercie.
